C'est un peu long, mais pas moyen de faire un lien
(chroniques abonnés du Monde)
Tristes évaluationspar Isa+du+20è, professeur des écoles
18.01.09
Lundi 19 janvier commencent les évaluations nationales des élèves de CM2, et c’est un jour bien triste. Enseignante de CM2, je m’apprête à jouer ma part d’une comédie burlesque qui pourrait très vite se transformer en tragédie : celle de la mort, tant annoncée et finalement tant recherchée, de notre école publique laïque et gratuite. Ces évaluations et l’analyse partiale qui en sera faite vont porter le discrédit sur l’école et conforter ceux qui affirment qu’on ne peut plus lui faire confiance pour former les enfants.
On me demande d’évaluer mes élèves, en janvier, sur l’ensemble des programmes de maths et de français de cycle 3, réformés et augmentés. Une partie non négligeable des savoirs évalués n’ont pas encore été travaillés par nombre d’élèves de CM2. Comment les nouveaux programmes de 2008 qui décalent notamment au CM1 des apprentissages jusque là réalisés en CM2 de septembre à juin, peuvent-ils concerner des élèves qui n’ont pas "bénéficié" de ces nouveaux programmes en CE2 et CM1 ?
On nous demande, avec une légèreté déconcertante d’oublier ce que tout précis de pédagogie élémentaire enseigne, à savoir que l’on évalue toujours l’acquisition,par les élèves, des compétences et savoirs travaillés de manière progressive, si nécessaire différenciée, lors de séquences complètes en classe.
J’enseigne dans un quartier peu favorisé, dans une école située en ZEP, avec les mêmes ambitions pour mes élèves que celles de mes collègues d’écoles plus favorisées ; mais certains ont parfois juste besoin d’un peu plus de temps : ils ont souvent un déficit devocabulaire ou connaissent des situations familiales qui ne favorisent pas le travail personnel à la maison. Je viens donc d’apprendre que je vais leur demander de savoir réaliser des divisions avec dividende et quotient décimaux – nouveaux programmes - alors qu’à leur arrivée en CM2 ils ne connaissaient pas encore les décimaux ni la division euclidienne. Que cherche-t-on à faire si ce n’est les mettre en échec ?
A mes objections sur la précocité de ces évaluations, il m’a été répondu à l’Inspection que le
"temps politique et le temps pédagogique ne sont en effet pas toujours les mêmes mais que nous sommes des fonctionnaires et devons appliquer les décisions de notre hiérarchie". Comment accepter que l’on sacrifie ainsi les temps d’apprentissage et que l’on génère chez les élèves des frustrations qui peuvent laisser des traces pérennes ? Comment ne pas craindre en outre un accroissement des inégalités entre les élèves ?
Ces évaluations "sommatives", c’est-à-dire dressant un bilan sommaire des savoirs ("acquis/non acquis") en fin de cycle, n’ont donc pas pour objet d’être des outils de remédiation* pour l’enseignant : elles ne peuvent éclairer sur la nature de l’erreur, d’autant plus quand on évalue des savoirs non travaillés. Alors, en admettant que l’on soit d’accord avec de telles évaluations "sommatives", on peut légitimement se demander pourquoi les faire en janvier ?
Premiers concernés par ces évaluations, les enseignants de CM2 les ont eu entre les mains il y seulement trois jours, au cas où il leur serait venu l’idée
saugrenue de donner leur avis. Alors, comment ne pas voir dans ces évaluations la volonté malintentionnée de ceux qui crient depuis deux ans, à qui veut l’entendre, que l’école française a échoué, que "cette fabrique à crétins" n’est qu’un gouffre à argent public dont on doit rationaliser les moyens, en d’autres termes les réduire, notamment en supprimant les postes de maîtres spécialisés dans la grande difficulté scolaire.
"Regardez, ils ne servent à rien au vu des résultats !
Quant à leurs collègues non spécialisés, ils ne sont même pas capables
de faire travailler les programmes à leurs élèves !".Que va-t-on faire de ces résultats ? Le ministère de l’éducation nationale a fini par décider de diffuser les résultats bruts de ces évaluations par école, sans la moindre pondération pour tenir compte de données qui permettent de mieux comprendre ces résultats (ZEP, etc.). On cherche par là à comparer et donc au final à mettre en concurrence directe des écoles qui n’ont pas à l’être. Cette décision va saper tout le travail réalisé par de nombreuses équipes pédagogiques pour changer l’image de leur école et rassurer les parents et finalement pour donner aux élèves une meilleure idée d’eux-mêmes et de leurs capacités.
J’ai alerté autour de moi et j’aurais souhaité pouvoir ajourner ces évaluations en me ralliant à un mouvement assez large, mais je n’ai trouvé que quelques manifestes isolés, n’allant d’ailleurs pas tous dans le même sens.
Quel gâchis ! L’évaluation est pour la communauté éducative un outil de connaissance et de travail pertinent mais une fois encore, elle doit être préparée dans la sérénité et en concertation et ne devrait pas être utilisée à des fins politiques.
Dans l’attente de lendemains meilleurs
Isabelle B, enseignante de CM2 à Paris.