La mondialisation vaut-elle le coup ?, par Frédéric Lemaître
LE MONDE | 09.06.08 | 14h07 •
Il y a neuf ans, à Seattle, les altermondialistes criaient victoire. En partie sous leur pression, les 135 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'étaient séparés sans avoir lancé le "cycle du millénaire" qui devait étendre les discussions à de nouveaux sujets comme la concurrence, l'investissement, l'environnement.
Cette victoire des "alters" sera de courte durée. Le cycle sera finalement lancé à Doha en novembre 2001. Traumatisés par les attentats du 11-Septembre, les dirigeants ne peuvent plus s'offrir le luxe d'étaler leurs divisions. Ce sommet et, quelques semaines plus tard, l'adhésion de la Chine à l'OMC vont donner un nouvel élan à la mondialisation. Malgré l'éclatement de la "bulle Internet", la planète connaîtra une croissance historique. Consommation, investissement, commerce... tout explose. On se bouscule aux portes de l'OMC, qui compte à ce jour 152 pays membres. Alors que le forum de Davos essaime dans les pays émergents, le contre-sommet de Porto Alegre ferme ses portes. L'histoire ne repassera pas les plats du non-alignement. Comme ses homologues chinois, indiens et sud-africains, Lula a choisi son camp : le Brésil sera un acteur à part entière de la mondialisation libérale.
Tout le monde était censé être gagnant : les populations des pays émergents, bien sûr, mais aussi celles des pays développés. N'en déplaise aux Cassandre, le chômage régresse en Occident. Certes les inégalités y augmentent, mais moins parce que les pauvres s'appauvrissent que parce que les riches s'enrichissent encore plus vite que les autres. Bien qu'inquiètes de la flexibilité qui se généralise, les classes moyennes sont souvent gagnantes : grâce à la faiblesse de l'inflation et des taux d'intérêt, elles peuvent voyager, consommer, et surtout emprunter pour devenir propriétaires.
Mais la fête touche à sa fin. La mondialisation, qui avait préservé notre pouvoir d'achat, provoque une augmentation des matières premières. Partout, les indices des prix s'envolent, dépassant 10 % dans plusieurs pays. Alors que la crise alimentaire mondiale ne fournit même pas aux altermondialistes l'occasion de refaire surface, l'OMC est en train de se saborder. Toute seule. Après sept ans de négociations, il faudrait en effet un véritable miracle pour qu'elles aboutissent, comme feint encore de le croire le directeur général, Pascal Lamy.
Le Congrès américain, qui vient, fait rarissime, d'outrepasser un veto de George Bush, pour voter une nouvelle loi de soutien à l'agriculture (307 milliards de dollars en cinq ans, soit 197 milliards d'euros), lui a sans doute donné le coup de grâce. Difficile d'imaginer pire bras d'honneur. En revanche, la France boit du petit-lait. L'Union européenne ne sera pas assez folle pour démanteler la politique agricole commune quand le Congrès américain (Barack Obama et Hillary Clinton étaient pour, John Mc Cain contre) renforce les aides.
Comme le révèle l'échec de la conférence organisée à Rome du 3 au 5 juin par la FAO, la crise alimentaire n'a pas renforcé la solidarité mondiale, mais au contraire mis en valeur les égoïsmes nationaux. Y compris au Sud. Alors que, ces dernières années, les pays émergents n'avaient pas de mots assez durs pour dénoncer le protectionnisme du Nord, plus d'une vingtaine limitent désormais, de leur propre chef, leurs exportations agricoles, pour nourrir en priorité leur population. Au concept de "sécurité alimentaire" se substitue peu à peu celui d'"autosuffisance". Le glissement sémantique n'est pas neutre. Le premier inclut des accords d'approvisionnement à long terme, le second mise sur les ressources propres du pays. A moyen terme, c'est pure folie. Les soubresauts climatiques à venir et leurs cortèges d'inondations et de sécheresses vont exiger que les pays se serrent les coudes. Mais, à court terme, le chacun-pour-soi est politiquement payant.
"LA DICTATURE DU TOUT-MARCHÉ"...la suite ici
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