Il me semble que transcender les polarités, s’installer au cœur des couples de contraires (de l’extrême gauche à l’extrême droite française!...) implique de ne pas séparer l'un de l'autre, ni de choisir définitivement l'un ou l'autre même en les côtoyant pour leur proposer notre tradition.
La conscience est alors libre de se placer dans un “tiers inclus”, au sein de l'”unité-totalité paradoxale” traditionnelle.
Il s’agit donc, grâce à la « coincidentia oppositorum » appliquée par Rome, de voir la vie toujours de l’intérieur, du centre, de l’”extrême centre”… (Le sommet en géométrie… comme disait mon père).
En effet, pour la vision traditionnelle, polythéiste la conscience ne se situe pas dehors, mais au-dedans des choses. Nos égarements ne font que signaler notre “excentricité”, c’est-à-dire notre perte du centre. Cette quête du centre est généralement appelée voie ésotérique ou “voie du dedans” par la Tradition celtique.
Toute vision traditionnelle véritable naît des “noces sacrées” entre les “puissances limitantes”, qui jugent (la raison critique) et les “puissances débordantes” qui créent (l'amour et l’imagination).
Chez les Celtes et les Grecs, la tradition delphique pré-socratique avait symbolisé cette union par la complémentarité entre les Dieux Lug, Belenos ou Apollon, le limitateur, et Cernunos ou Dionysos, le débordant ; chacun régissait un fronton du temple de Delphes, en Grèce, qui gardait l’omphalos ou “nombril du monde”.
La Tradition ne doit donc pas être considéré comme statique, ni dogmatique ; elle est vivante et différentielle. A l’image de l’omphalos de Delphes, elle est le centre ou le cœur, pont de liaison et d'émanation de tout ce qui existe.
Contrairement a ce qu'ont supposé les penseurs de ces deux derniers siècles, cette vision du monde et de soi-même intègre la fonction critique de la raison, mais empêche le réductionnisme, grâce à la fonction débordante de l’Imaginaire.
L’imaginaire permet de concevoir une réalité synchronique (mythique) et pas seulement chronologique (historique) comme le Raison. La Tradition régit l'univers subtil de la communication, non pas simplement au niveau de l'information et de l'analyse, mais surtout au niveau du “vécu”, qui reste essentiel pour que l’expérience puisse être assimilé complètement par la conscience.
En réalité, comme le dit Lévy-Bruhl, “traiter les sociétés humaines primitives de “pré logiques”, en les comparant aux sociétés modernes, est une abusive simplification.”
A la suite des recherches anthropologiques, nous pouvons constater que l’0ccident rationaliste a réellement commis une grave erreur en traitant les sociétés traditionnelles de “pré logiques”.
L’erreur fondamentale commise par les tenants d'une explication psychologique de la vie collective primitive fut de formuler les problèmes anthropologiques en termes catégoriques, reprenant en cela la vieille logique classique.
Ils ont utilisé des catégories superficielles de la psychologie, qui se sont elle-même avérées inadéquates parce que partielles et exclusivement adaptées à la modernité, c’est-à-dire à “l’homme blanc, adulte et civilisé”. Ils ont fait preuve d'ethnocentrisme.
Les conséquences de cet ethnocentrisme sont immenses, car l’occident chrétien a exporté son modèle “philosophique” partout dans le monde et il se rend compte aujourd'hui qu'il ne pourra jamais mener qu’à une impasse.
D'où une profonde remise en cause des valeurs de l'0ccident par l’0ccident lui-même, la fuite vers les pseudo paradis orientaux, l’explosion d’une spiritualité qui cherche refuge dans n’importe qu’elle secte, la recrudescence de la violence et de la peur dans les sociétés occidentales.
Dans le même temps, grâce aux découvertes du “nouvel esprit anthropologique”, l'occident est de nouveau mis en contact avec un héritage pluri millénaire qui le fait revenir à plus de vingt-cinq siècles en arrière. S’agirait-il d’une simple régression à effectuer ?
Certainement pas ! Cette aventure des vingt-cinq siècles derniers a enrichi l’Europe et l’humanité d'expériences extraordinaires et il serait erroné de croire qu'elle ne fût qu’une digression inutile.
Nous devons donc tirer profit de cette expérience pour construire la grande fédération européenne de Brest à Vladivostok: sinon, nous courons le risque de voir la vieille Europe et la planète tout entière “céder au désespoir”. II ne s’agit pas d’annoncer l’apocalypse, ni de vivre le 21è siècle avec fatalisme, ni de faire un quelconque réquisitoire contre la philosophie de l’occident chrétien, mais de comprendre, avec maturité, que l’on peut envisager UNE SAGESSE DES TEMPS NOUVEAUX, qui nous permette de nous améliorer, de nous transmuter, d’être à l’écoute, pas seulement de soi-même, mais surtout de “l'autre” et du Divin. Ce qui pourra alors être incarné dans la grande fédération européenne.