CONTE INDEN
Le Brahmane était un homme très pieux. Tous les jours, à son réveil matinal, il prenait son bain de tête et partait aussitôt vers le temple, son panier d’offrandes à la main : fleurs, bétel, bananes, noix de coco, camphre. Il allait assister au "Puja", ce culte hindouiste rendu à Dieu trois fois par jour.
Avec ferveur, il priait : "Seigneur, je viens te rendre visite chez toi, sans que j'aie manqué un seul jour. Matin et soir, je te fais des offrandes. Ne peux-tu pas venir chez moi ?" Attentif à cette prière quotidienne, Dieu lui répondit enfin "demain, je viendrai."
Quelle joie pour le Brahmane. Il se met à laver à grande eau toute la maison. Il fait tracer devant le seuil des dessins en farine ou en pâte de riz.
A l'aube, il attache une guirlande de feuilles de manguiers à l'entrée de sa maison. Les lampes à huile à plusieurs mèches sont allumées sur le banc en maçonnerie que possède toute demeure indienne. Au centre de chaque dessin s'épanouit une belle fleur de potiron. Et dans la salle de réception, des plateaux de fruits, de galettes sucrées et de fleurs s’étalent à profusion. Tout est prêt pour recevoir Dieu. Le Brahmane se tient debout pour l'accueillir.
L'heure du "Puja" approche. Un petit garçon passe par-là, aperçoit par la fenêtre ouverte les plateaux de galettes. Il s'approche : "Brahmane, tu as beaucoup de galettes là-dedans. Ne veux-tu pas m'en donner une ?'
Le Brahmane, furieux de l'audace du gamin, réplique 'Veux-tu filer, moucheron, comment oses-tu demander ce qui est préparé pour Dieu ?"
Et le petit garçon, effrayé, s'enfuit.
La cloche du temple a sonné. Le "Puja' du matin est terminé. Le Brahmane pense : Dieu viendra après le culte de midi ! Attendons-le...
Fatigué, il s'assoit sur le banc. Un mendiant arrive et lui demande l'aumône. Le Brahmane le chasse vertement. Puis il lave soigneusement la place souillée par les pieds du mendiant... Et midi passe... Dieu n'est toujours pas au rendez-vous.
Le soir vient. Le Brahmane tout triste attend toujours la visite promise... Un pèlerin se présente à l'heure du culte du soir. "Permets-moi de me reposer sur le banc et d’y dormir cette nuit !" "Jamais de la vie !, répond-il, C'est le siège réservé à Dieu ". La nuit est tombée. Dieu n'a pas tenu sa promesse : quel chagrin...
Le lendemain matin, revenu au temple pour la prière, le dévot renouvelle ses offrandes et fond en larmes : "Seigneur, tu n'es pas venu chez moi comme tu me l'avais promis. Pourquoi ? "
Une voix lui dit alors : "Je suis venu trois fois, et chaque fois tu m'as chassé".