Allez, je relance le sujet.
J'ai lu à peu près tout Tolkien, l'un de mes auteurs préférés. Comme je suis un littéraire, j'ai pas mal d'auteurs préférés - une vingtaine, trentaine (?) depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, mais Tolkien fait partie de ceux qui m'ont le plus intéressé et influencé, pas seulement du point de vue littéraire, mais aussi comme "modèles" : dans des perspectives différentes, Tolkien, Jaccottet, Bonnefoy et Proust sont le grand quatuor de ma bibliothèque, et les quatre auteurs dont j'aimerais, un jour, pouvoir dire que j'ai (à peu près) une bibliothèque complète à leur sujet (oeuvres complètes, principaux critiques, etc.).
Mode autobiographie enclenché, si ça intéresse quelqu'un.
Je dois préciser que suis un puriste en ce qui concerne Tolkien. Je ne jette pas l'anathème sur Peter Jackson, ni ne brûle les films ou les produits dérivés, mais je ne peux pas supporter certaines tendances accentuées depuis la sortie des films, à savoir une certaine domination de l'univers dérivé, de la "Terre du Milieu" jacksonienne, aux dépens de l'Arda de Tolkien. Et ça ne peut pas ne pas serrer le coeur à quelqu'un qui, comme moi, a grandi dans l'oeuvre de Tolkien... J'ai été plongé dans
Bilbo très tôt, et le
Seigneur des Anneaux est arrivé à mes dix ans, c'est-à-dire sans doute beaucoup trop tôt, mais depuis je n'en suis pas sorti. J'ai eu la chance, en fin de compte, de connaître Tolkien et ses oeuvres (le
Silmarillion, très tôt aussi)
avant la sortie des films.
Cela avait des inconvénients. Avant la sortie de la Communauté de l'Anneau par Jackson, Tolkien nageait en France dans un oubli relatif. Des rires avaient accueilli, dans une petite classe, ma fiche de lecture de
Bilbo (personne ne savait ce qu'est un hobbit, bien entendu, et la maîtresse ne semblait pas connaître ses vrais classiques de littérature pour enfants, parce que d'autres élèves n'avaient pas été moqués lorsqu'ils avaient parlé de lectures insipides - vous savez, ces romans pour la jeunesse "historiques" produits à la chaîne
), ce qui m'a marqué. Remarquez l'ironie, on arrive bientôt à la sortie de
Bilbo en film, la situation doit s'être totalement renversée et la maîtresse répondrait : "Tu n'as rien trouvé de plus original ?" à un petit se retrouvant dans la même situation que moi jadis...
Bref, j'ai eu de la chance. Il y avait bien le dessin animé de Bakshi, fort particulier, mais il n'a pas eu l'influence qu'a eu Jackson par la suite, bien entendu. Il y avait les nombreux tableaux, dessins, peintures, etc., mais leur variété permettait de ne pas enfermer l'imaginaire. Bref, on pouvait encore lire Tolkien sans trop d'influence extérieure.
Deuxième chance : j'ai lu Tolkien avant de lire d'autres de livres de fantasy, quelques incursions exceptées, et, franchement, c'est ce que je recommanderais. L'inverse est, à mon avis, destructeur, surtout si vous avez moins d'inclination vers Tolkien.
L'oeuvre de Tolkien est classique. Ce que j’appellerais la "matière d'Arda" (SDA + Silmarillion + tous les écrits rattachés, mais Bilbo a une place singulière et je ne le mets pas sur le même plan) relève à mes yeux plus de la mythopoeïa que de la fantasy. Il n'y a aucun rapport entre Tolkien et la masse d'auteurs prolifiques qui sortent à la chaîne des cycles de fantasy en suivant plus ou moins des schémas de production para-littéraires. C'est un grand écrivain et un grand inventeur d'univers imaginaire et de mythologie. C'est aussi un grand professeur et un grand philologue. Lire Tolkien et lire sur Tolkien a été ma propédeutique à l'apprentissage de l'anglais, du vieil anglais, à l'intérêt pour la linguistique, la philologie, l'histoire ancienne et médiévale, la critique littéraire, la culture anglaise, etc. J'ai découvert que j'ai des points communs avec lui, notamment en matière de certains goûts linguistiques et phonesthétiques, ce qui ne m'a pas étonné : l'oeuvre de Tolkien était carrément "faite pour moi", dirais-je.
Qu'est-ce que je préfère chez Tolkien ? Peut-être un peu plus
Le Silmarillion et toute la matière des
HOME (History of Middle Earth) que le
SDA. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas fan, et n'ai pas vraiment besoin, de la médiation de hobbits bien sympathiques mais parfois énervants, pour entrer dans le monde de Tolkien - contrairement à beaucoup de personnes, sans doute
. C'est peut-être parce que je suis très vite entré dans le
Silmarillion, et que je n'ai aucun mal à aimer lire autre chose que des romans (puisque ce livre est tout sauf cela
)...
Bref, vous l'aurez compris, Tolkien est tellement intégré en moi que c'est quelque chose d'intérieur, pas d'extérieur, c'est intégré dans ma "culture", dans le sens où à côté de ma connaissance de la mythologie gréco-romaine, il y a la mythologie de Tolkien.
- Miaou a écrit:
- Il y a une mélancolie dans les livres de Tolkien qui n'a pas été retransmise dans le film.
Il y a eu beaucoup de coupures aussi.
Ce que je reproche aux films, c'est d'avoir ringardisé et normalisé un certain nombre de choses. Il y a pas mal de bonnes choses dans les films, prises individuellement, qui correspondent à l'univers... Mais l'atmosphère générale n'est pas là, le "filtre" est complètement différent, certains choix sont hollywoodiens et ridicules, et certains aspects font "fantasy typique" plutôt que "hommage à Tolkien". Aussi, certaines scènes sont tout simplement mauvaises à mes yeux, d'un point de vue cinématographique ; il y a au moins une ou deux occasions où la logique interne des films fait défaut, et surtout surtout au moins deux hérésies que je ne pardonne pas à Jackson, la présence de l'Armée des Morts à Minas Tirith, comble du n'importe-quoi à tous les niveaux (irrespect de l'oeuvre, nullité cinématographique à mon avis, et décision qui fait que toute la bataille précédente est ridiculisée), et puis des choix ridicules concernant Sauron et certains de ses serviteurs. Dans les films, la volonté d'en montrer trop atténue voire détruit tout sentiment de peur envers Sauron, que ce soit dans le Prologue où il apparaît en même temps comme trop fort (pas de subtilité, j'ai une grosse masse d'armes et je catapulte les gens à trente mètres) et comme ridiculement faible (excusez-moi, ils auraient quand même pu faire en sorte qu'il ne soit pas défait seulement à cause de la perte de quelques doigts, dans l'oeuvre, Sauron est défait après un combat éprouvant...), ou dans les deux derniers films, où la métaphore de l'Oeil a été prise avec une subtilité bien jacksonienne (dont il fait également preuve dans certaines scènes glauques, et dans des gros plans peu ragoutants).
Heureusement, certains choix qui m'auraient terrifié ont été évités, et, globalement, Jackson a livré une interprétation relativement convenable par rapport à l'oeuvre dans la mesure où il l'a vulgarisée, et de bons films (avec certains côtés exceptionnels, bien sûr
). Il a réussi avec son équipe à contrer certaines visions de la société de production, qui auraient dénaturé l'oeuvre.
Je ne suis pas trop inquiet concernant l'adaptation de Bilbo. C'est un livre tout à fait adaptable sans grands risques, à la différence du SDA, même si l'on peut s'inquiéter de certains changements ou ajouts.