La Tribune.fr -
30/04/08 à 8:56 - 1011 mots
point de vueLa France n'aime pas sa jeunesseLa dégradation des conditions de vie des jeunes est le résultat pour l'essentiel de la mise en place d'un marché du travail dans lequel ils sont devenus la principale variable d'ajustement, regrette l'essayiste Grégoire Tirot.Une récente étude de la Fondation pour l'innovation politique a démontré que la jeunesse française est la plus pessimiste de l'ensemble des pays développés. Ce que l'étude ne dit pas, c'est qu'elle a de très bonnes raisons pour nourrir ce pessimisme. Les jeunes générations savent très bien qu'elles vivront moins bien que leurs parents et ont de ce fait beaucoup de difficultés à se projeter positivement dans l'avenir.
Il serait faux de croire qu'il s'agit d'une déprime qui passera avec le temps. La réalité est que le maintien inconditionnel des acquis de nos aînés repose, qu'on l'ait voulu ou non, sur deux piliers: la dégradation des conditions de vie des jeunes générations et le sacrifice des générations futures sur l'autel de la dette publique. La France a fait le choix de l'immobilisme depuis près de trois décennies. Conséquence: les ajustements qui ont résulté de ce blocage général se sont opérés, brutalement et en marge, sur ceux qui n'ont pas voix au chapitre: les jeunes.
La dégradation de leurs conditions de vie est le résultat pour l'essentiel de la mise en place d'un marché du travail dans lequel les jeunes sont devenus la principale variable d'ajustement. Un marché de dupes dans lequel ils mettent en moyenne de huit à onze ans pour trouver un emploi stable, soit toute une vie en pointillé.
Une vie au cours de laquelle ils sont ballottés entre le chômage, qui touche environ 20% des moins de 25 ans, contre 4% en 1968, le travail gratuit (près de 900.000 stagiaires par an apprennent qu'en France il est encore légalement possible d'occuper un poste pendant de longs mois sans être payé ni protégé par le Code du travail) et l'emploi précaire: en flux, 70% de ces embauches se font en CDD; en stock, en 2004, 20% des jeunes ayant un travail avaient un emploi temporaire contre 7% pour les 30-49 ans, dans le pire des cas. Le sentiment d'être un "inutile au monde", pour reprendre l'expression de Robert Castel, est concentré pour l'essentiel chez les "jeunes des quartiers", victimes en bout de chaîne d'un système malthusien.
Dans un monde où les places sont chères, un jeune, pour paraphraser Hobbes, est avant tout un "loup" vis-à-vis des autres jeunes. Dans ces conditions, le salaire au mérite apparaît comme un mirage: les salariés cinquantenaires gagnent aujourd'hui en moyenne 40% de plus que les trentenaires, alors que cet écart n'était que de 15% en 1975. S'est ainsi mis en place un système de rente fonctionnant à l'ancienneté, dans lequel le salaire croît avec l'âge, et est trop souvent déconnecté de la productivité et du mérite du travailleur.
En conséquence, le pouvoir d'achat des jeunes générations s'est effondré, phénomène accentué par l'explosion des prix de l'immobilier. Le salaire annuel d'un cadre trentenaire ne permet plus d'acheter que 4 mètres carrés à Paris contre 9 en 1984. L'Insee constate par ailleurs qu'entre 1992 et 2004 le patrimoine des moins de 30 ans est passé de 7% à 4% du patrimoine médian des Français, celui des 30-40 ans de 85% à 70 %, tandis que celui des 60-70 ans a progressé de 120% à 140%.
Enfin, notre système de protection sociale est devenu une vaste machine à produire de l'injustice entre les générations. C'est la double peine pour ceux qui devront assumer le poids croissant des pensions de retraite des futurs papy-boomers et cotiser eux-mêmes pour assurer leurs vieux jours. Car, d'ici là, le régime de retraite par répartition aura implosé.
Rappelons que, pour que soit maintenu d'ici à 2050 le niveau de vie des retraités, les cotisations pesant sur les actifs devront augmenter de 66%. Le conflit des générations est donc bien parti pour détrôner et remplacer la lutte des classes. Dans ces conditions, rien d'étonnant que l'on ait parfois le sentiment d'avoir davantage de perspectives d'avenir à 60 ans qu'à 30 ans. Rien d'étonnant que les 18-25 ans constituent la population la plus touchée par la dépression, avec les femmes entre 45 et 54 ans.
En définitive, notre pays n'aime pas sa jeunesse. Il fait semblant de s'inquiéter de son avenir. Mais, au fond, son sort lui importe peu, notamment parce que notre société n'a que peu de considération pour ses jeunes classes. L'image de la jeunesse renvoyée par les médias est parfaitement affligeante: le jeune n'est jamais présenté comme une ressource, comme l'incarnation d'un avenir prometteur ou comme la relève potentielle d'une société qui croit en des lendemains meilleurs.
Le jeune a toujours un problème ou, pis, est toujours un problème pour la société. Le débat sur la diffusion du "répulsif anti-jeunes" n'est que le dernier avatar de cet état d'esprit. Si l'on met à part l'enseignement, la politique menée en faveur de la jeunesse oscille entre la sphère sociale stigmatisante ("politique de l'emploi-jeune"; ex-CPE) et la sphère récréative. Mais le noeud du problème est l'aveuglement de notre société en son entier qui a préféré sacrifier sa jeunesse plutôt que se remettre en cause.
Le président de la république a reconnu lors de la conférence de presse qu'il a tenue en janvier que "notre société ne fait pas à sa jeunesse la place qui doit lui revenir, ne lui donne pas les moyens de son autonomie, de son intégration". Le constat est partagé. Il y a maintenant urgence à agir, car une société hostile à la jeunesse est une société sans avenir.
Grégoire Tirot, auteur de "France anti-jeune: comment la société française exploite sa jeunesse", aux éditions Max Milo
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