Comment construire la nouvelle architecture financière mondiale ?
Il est de plus en plus clair que les Chefs d’Etat vont tenter de créer une nouvelle architecture financière mondiale. La tâche est immense.
Un exemple : il faudrait commencer par supprimer les paradis fiscaux, qui sont les lessiveuses blanchissant l’argent sale. Est-ce possible à court terme ? Non bien sur. Du moins pas avant qu’existe un gouvernement et un parlement mondial démocratiquement élu... Autant dire pas avant mille ans.
Doit-on pour autant baisser les bras ? Non bien sur.
Il existe des solutions pour contraindre des entreprises et des établissements financiers à cesser de travailler avec les paradis fiscaux. Qui les connaît ? Quelques personnes. On les compte sans doute sur les doigts d’une main. Il s’agit des juges ayant eu à traiter des dossiers de malversations financières à grande échelle, comme par exemple Madame Eva Joly, M. Renaud Van Ruymbeke. Certains d’entre eux ont écrit des livres : « Un monde sans Loi » (Jean de Maillard), «Notre affaire à tous» (Eva Joly), etc... Dans ces livres, ils proposent des solutions. Elles ne sont sans doute pas parfaites, mais doivent au minimum être mises en place. Elles ne sont jamais évoquées.
Cet exemple des paradis fiscaux a un double objet :
souligner qu’aucun sujet, aussi difficile soit-il, ne pourra rester tabou.
souligner qu’il serait très dommageable de se priver des compétences des juges du pôle financier pour reconstruire une nouvelle architecture financière mondiale.
Pour traiter un sujet aussi vaste et fondamental pour l’humanité que la nouvelle architecture financière mondiale, il est nécessaire de commencer par créer dans chacun des 27 pays de l’Union Européenne une commission de très haut niveau. L’exemple des commissions «Camdessus » et «Attali », qui ont formulé des propositions pour réformer l’économie française, montre que cette méthode est bonne.
Ces commissions devraient aborder toutes les facettes du sujet : les politiques monétaires, en tout premier lieu, mais aussi les paradis fiscaux, les faiblesses des règlementations permettant les fraudes, la question des fond souverains et des fonds occultes, la non pertinence de certaines règles de l’Omc, le rôle de chacune des grandes institutions internationales, l’application de la concurrence dans un contexte où celle-ci n’est pas loyale, en identifiant soigneusement qui subit le coût des dysfonctionnements actuels, et qui a les moyens de s’en affranchir ou de les compenser, etc. La réflexion devrait s’inscrire dans un fil conducteur : le développement durable, c’est à dire l’économie au service de l’Homme. Le mandat donné à ces commissions devrait préciser expressément ce point, et viser expressément l’article 2 du «traité simplifié» de Lisbonne, puisqu’il a été approuvé par les 27 Chefs d’Etat, et qu’il est sensé être porteur de sens.
Au niveau de leur composition, outre le Président de chacune des Banques Nationales (Banque de France chez nous), ces commissions devraient comporter quelques uns de ces juges qui connaissent en détail les montages juridiques ou financiers permettant de se soustraire aux lois nationales, européennes et internationales. Elles devraient également compter dans leurs rangs des professeurs d’économie, et des juristes, des grands patrons de multinationales, des banquiers, des représentants des O.N.G. qui se sont penchés sur ce problème depuis plusieurs années, des parlementaires, des experts comptables, et bien sur, des commissaires aux comptes, seuls à même de dire si, après les réformes, banques et entreprises seront ou non contrôlables et sanctionnables rapidement en cas de manquements.
Les débats seront extrêmement difficiles et souvent conflictuels. Tant pis ou plutôt tant mieux. Nous n’avons plus d’autre choix. Le plus gros de la facture de la crise actuelle est payé par les citoyens les plus modestes. On leur doit bien cette transparence !
Naturellement, chacune de ces commissions (comme ce fut le cas pour la commission Attali) ouvrirait un forum sur Internet pour permettre à tous les citoyens de soumettre leurs propositions.
Une fois les conclusions de ces commissions nationales rendues publiques, chaque pays arrêtera sa position, (car c’est bien au politique d’avoir le dernier mot dans une démocratie, et non pas aux experts). Une synthèse devra ensuite être réalisée au niveau européen, après que le Conseil Européen ait pris l’avis de la Bce et des quelques sommités mondiales, dont l’autorité morale sur cette question est reconnue sur la planète (Amartya-Sen, Yunnus notamment).
Il sera alors possible de porter la voix de l’Europe au niveau mondial. Et elle sera crédible. Quelques mois peuvent suffire. Le sujet est travaillé depuis fort longtemps. Et si l’Europe ne parvient pas à imposer ses vues, du moins aura t-elle pu les exposer à l’opinion publique mondiale. De toute façon, si les Européens ne s’entendent pas sur une solution commune, celle-ci sera à fortiori impossible à trouver au niveau mondial. Ce sera alors le désastre.
Nous sommes ici devant un problème de société. On peut même dire un projet de société. Le pire serait de lerégler en catimini, dans le cadre d’un G quelque chose, en s’appuyant sur la seule expertise des gens qui ont failli depuis des décennies.
Bertrand de Kermel,
Président du Comité Pauvreté et Politique