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New Delhi met au jour un vaste trafic international de reins
INDE. Arrestations suite à des prélèvements d'organes sur des pauvres.
Vanessa Dougnac, New Delhi
Vendredi 1 février 2008
Manipulés ou escroqués, venus des campagnes pauvres de l'Inde, plus de 500 chômeurs se sont réveillés un matin dans la chambre clandestine d'une clinique privée, ressentant une forte douleur au bas du dos. Au No 4374 du secteur 23 de Gurgaon, une ville pimpante et flambant neuve en banlieue de New Delhi, ces miséreux venaient d'être dépossédés d'un rein, afin d'alimenter un réseau lucratif destiné à de riches clients.
Après dix ans d'impunité, dans un pays qui a banni le commerce d'organes, ce trafic vient d'être porté au grand jour lundi grâce au témoignage d'une victime. Il y a deux ans, Pappu, âgé aujourd'hui de 40 ans, s'était fait prélever un rein contre sa volonté. Il s'était tu. Mais, en retrouvant par hasard Shahid, le «passeur» qui l'avait conduit à l'hôpital de Gurgaon, Pappu décide d'alerter la police. Il veut «empêcher Shahid de berner d'autres gens».
C'est ainsi que le scandale éclate, donnant lieu à un grand coup de filet de la police à travers sept Etats du pays. Choqués, les médias indiens impriment quotidiennement la photo d'un homme à l'air jovial: le cerveau du trafic, Santosh Rameshwar Raut, alias Amit Kumar, qui reste introuvable. L'homme, la cinquantaine, ainsi que son frère, Jeevan, étaient certes connus des services de police pour des prélèvements illégaux de reins dès le début des années1990. Amit Kumar est suspecté d'avoir fui au Canada, via le Népal. La police a arrêté son chauffeur, Umesh, et sa belle-sœur, Pooja. Celle-ci aurait confié que les deux frères «chirurgiens» possédaient de faux passeports ainsi que de faux diplômes en médecine. Dans l'hôpital du docteur Upender, un complice, ont été retrouvées les traces de 55 comptes bancaires et de 35 autres à des noms inconnus.
Menacé par une arme
Désormais, les langues se délient. Les victimes ont toutes été racolées par des hommes de main, qui les gardaient ensuite à disposition des «docteurs» pour greffer simultanément leurs clients. Les histoires, ensuite, varient. Certains désespérés avaient réellement choisi de revendre leur rein. «Ils m'avaient promis 50000 roupies (850 euros), raconte Bhagwandas, 46 ans. Mais je n'ai reçu que 30000 (500 euros).» Ahmed, un ouvrier de 28 ans, a été menacé par une arme avant de subir un «prélèvement sanguin». Sakil, lui, s'était vu proposer un emploi à condition d'effectuer un «bilan de santé». Mais tous y ont perdu leur rein et leur santé.
Mercredi, la police a lancé des perquisitions dans les plus prestigieux hôpitaux privés de New Delhi, et dans de nombreux cliniques et laboratoires. Les arrestations se poursuivent. La taille du trafic démantelé semble prendre des proportions sans précédent. «L'étendue pourrait être bien plus grande que ce qui a été envisagé jusqu'à présent», a souligné Manit Ahlawat, commissaire de police de Gurgaon.
Les ramifications internationales semblent déjà établies, à travers l'existence d'une clinique réservée aux étrangers et de «clients» de nationalités diverses, notamment des Grecs et des Britanniques. Ceux-ci étaient venus à New Delhi dans le cadre du «tourisme médical», pour lequel l'Inde excelle, et s'apprêtaient à payer leur nouveau rein quelque 2millions de roupies (36000 euros). Soit, pour les trafiquants, 40 fois le prix payé au petit paysan indien.
une fois de plus, Vive la modialisation!