Silence européen après l'arrestation de trois chefs de l'opposition tchadienneLE MONDE | 09.02.08 | 13h21 • Mis à jour le 09.02.08 | 15h29
N'DJAMENA ENVOYÉ SPÉCIAL
Les rebelles venaient à peine de quitter le quartier des Deux Châteaux, abandonnant N'Djamena après deux jours de combats dans la ville et la contre-offensive du président Idriss Déby, quand des soldats loyalistes sont venus arrêter Lol Mahamat Choua à sa résidence. Battu à coups de crosse, l'ex-président de la République, en 1979, a été emmené dans un pick-up par des hommes
"enturbannés, sans même avoir le temps de mettre des chaussures", assure Mahamat Allahou Taher, ancien ministre de l'énergie et porte-parole du parti de M. Choua.
La situation au Darfour a été "exacerbée par les violences au Tchad, ces derniers jours", a déclaré, vendredi 8 février au Conseil de sécurité de l'ONU, Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix. L'attitude des gouvernements soudanais et tchadien, qui s'accusent mutuellement de soutenir des rebelles, "démontre que le potentiel existe d'un conflit de dimensions internationales dans la région", a-t-il ajouté. L'armée soudanaise, soutenue par des miliciens janjawid, a lancé, vendredi, une offensive contre plusieurs localités du Darfour-ouest, faisant plusieurs dizaines de tués et de blessés. - (AFP.)
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Dès la reprise en main de la capitale, après deux jours de combats violents, les forces du président Déby ont lancé une vague d'arrestations d'opposants. Trois d'entre eux se trouvent en détention dans un lieu inconnu. D'autres se cachent. "
Nous sommes très inquiets. Ils ont été brutalisés lors de leur arrestation. On ignore où ils se trouvent, même si des rumeurs circulent, disant qu'ils pourraient se trouver à la présidence et seraient en mauvais état", ajoute M. Taher.
Chez Ibn Omar Mahamat Saleh, figure de proue de la principale coalition de partis d'opposition, les visages sont fermés. On connaît la fragilité de sa santé, l'importance de ses médicaments, dont il est à présent privé. Les pires éventualités sont envisagées. L'opposant Ngarleji Yorongar, candidat malheureux à la présidentielle de 2001 contre le président Déby, est le troisième des responsables arrêtés.
D'autres personnalités politiques ont échappé au coup de filet. Chez Saleh Kebzabo, il reste des traces de sang. Celles de la blessure de son frère, touché à la jambe par un tir des hommes en uniforme. Excédés de ne pas le trouver chez lui, ne pouvant croire la vérité, c'est-à-dire qu'il était en voyage, ces derniers ont brutalisé les gens dans la maison pour tenter de leur faire avouer où était l'opposant.
D'autres responsables politiques sont entrés dans la clandestinité, tout comme huit défenseurs des droits de l'homme qui s'estiment
"dans le collimateur des autorités" selon la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho), une organisation basée à Dakar, au Sénégal.
Amnesty International, de son côté, fait état d'
"informations selon lesquelles, le 6 février, au moins trois hommes auraient été exécutés" à N'Djamena et leurs corps jetés dans le Chari. L'ONG dit redouter une
"grande chasse aux sorcières". Des exécutions pourraient également avoir touché des soldats tchadiens ayant fait défection au moment de l'offensive rebelle, laissant le président Déby organiser la défense, retranché dans la présidence, avec
"environ 2 000 hommes", selon une source militaire.
Dans l'immédiat, l'opposition politique est mise hors jeu. Lol Mahamat Choua était à la tête du comité de suivi d'un accord signé le 13 août 2007 entre les partis politiques tchadiens qui refusaient de participer jusqu'ici aux processus électoraux et le pouvoir. Le texte prévoyait de remettre à plat le système électoral, avec l'appui de la France, des Etats-Unis et de l'Union européenne (UE), en procédant à un recensement, à la création d'un nouveau fichier électoral et d'une commission électorale digne de ce nom. Cette initiative, soutenue à bout de bras par l'UE, semblait en mesure de briser le tête-à-tête suicidaire entre le président et les rebelles, qui s'affrontent à intervalles réguliers au rythme des saisons sèches ou pluvieuses et des accords de paix jamais respectés par les belligérants.
En arrêtant Lol Mahamat Choua, c'est tout le processus démocratique qui est frappé. L'entourage de M. Choua rappelle qu'un texte de loi tchadien offre aux anciens présidents des
"garanties de sécurité personnelle", qui sont aujourd'hui foulées aux pieds. Il déplore aussi le silence et l'inertie des garants de l'accord du 13 août : UE, France et Etats-Unis. "
Nous avons fait des démarches auprès de l'ambassade de France sans recevoir de réponse", se désole Mahamat Allahou Taher.
Jean-Philippe Rémy http://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/02/09/silence-europeen-apres-l-arrestation-de-trois-chefs-de-l-opposition-tchadienne_1009409_3212.html#ens_id=947123