Précarité mode d'emploi : une journaliste a accepté plusieurs de ces boulots offerts aux demandeurs d'emploi.
Magazine Challenges | 31.01.2008 |
Et pourtant je me suis levée tôt... Elsa Fayner, Panama, 172 pages, 15 euros.
Le candidat Sarkozy fustigeait les «assistés» qui refusaient du travail. L'auteur, journaliste, a fait plusieurs de ces boulots offerts aux demandeurs d'emploi. Dur, dur d'y rester. Extraits (p. 68 à 70).
«A côté de moi, Najet, elle, a pris le pli. Elle est devenue une championne. Elle s'investit à fond, se penche sur le clavier, parle avec les mains, rigole avec les prospects. Elle vient de vendre deux forfaits en une heure. Quand un télévendeur fait une vente, il doit s'applaudir, ce qui donne le signal au plateau, qui tout entier se met à battre des mains. Alors même que, pour la plupart, nous sommes en pleine conversation téléphonique. On ne s'entend plus. Alain, lui, adore. Il s'impose des défis supplémentaires. Comment fait-il ? Delphine en a déjà marre, elle cherche un emploi ailleurs. Djamila progresse de jour en jour.
On est passés devant Melun ! hurle tout à coup un manager.
La meilleure équipe gagne un pot de confiture. Puis :
- Melun nous rattrape ! Qu'est-ce que vous faites ? Vous voulez que je vous achète des mains ou quoi ?
- Ce serait une bonne idée pour les tickets à gratter, marmonne Djamila.
Car, quand un vendeur a de bons résultats, c'est un Morpion ou un Banco qu'il remporte ! Les filles de l'équipe ont du mal à s'y faire, trouvant le système humiliant, et infantilisant. Elles se font une autre idée de la vente, du conseil au client. Elles doivent se forcer pour insister. Mais elles devraient ravaler rapidement leurs réticences, à en croire certains «anciens», qui sont là depuis trois, quatre, parfois sept mois. Peu s'attardent dans le secteur. De manière générale, dans les centres d'appels téléphoniques, le taux de rotation du personnel est estimé à 30%, comparable à ce que l'on rencontre dans la restauration rapide. Deux tiers des effectifs ont moins de cinq ans d'ancienneté. [...]
A 20 heures, la journée de travail se termine. Elle a duré neuf heures et demie. La longue pause du midi ne permet pas de rentrer chez soi, nous habitons trop loin pour la plupart. Et cela coûterait deux tickets de bus de plus. Mais il faut s'adapter à l'emploi du temps des prospects : ceux-ci sortent de chez eux entre 14 heures et 16 h 30, paraît-il. Alors, le soir, chaque télévendeur rentre entre 21 et 22 heures, dîne rapidement, se couche, crevé. Certains ont mal aux oreilles, mal à la mâchoire, à la gorge, envie de pleurer, une soif permanente pour quelques-uns, des cauchemars pour d'autres, et des tensions un peu partout. Najet dort de plus en plus difficilement. Nina a mal au dos.
Un soir, dans le bus, au retour, une collègue s'étonne de se sentir aussi épuisée qu'après une journée d'effort physique. Elle ne comprend pas pourquoi. A coup sûr, elle a trop «rebondi», «amorti», contré, désamorcé, lutté, elle a peut-être même cherché, à chaque appel et de toutes ses forces, à «entraîner le client dans une logique positive». Mais, comme la blonde jeune femme est en intérim, il n'est pas question pour elle de ménager ses efforts. Après les pots de confiture et les tickets à gratter, peut-elle espérer voir venir le CDI ?»
Notre avis. Souvenez-vous, c'était l'an dernier : Nicolas Sarkozy s'était autoproclamé candidat de ceux qui se lèvent tôt. Comprenez de ceux qui ne se laissent pas «assister». Elsa Fayner l'a pris au mot. Suffit-il de le vouloir très fort pour sortir du chômage ? Jeune journaliste, elle s'est glissée, trois mois durant, dans la peau d'une demandeuse d'emploi lilloise cherchant un poste au smic. Elle a certes trouvé du travail, mais pour mieux découvrir la précarité. Tour à tour télévendeuse, serveuse dans une cafétéria Ikea et employée d'étage dans un hôtel quatre étoiles, elle décrit son labeur quotidien : le temps partiel imposé (740 euros brut par mois), la pression exercée par une responsable fière d'être surnommée «FBI», le télévendeur humilié en public, les douleurs physiques des collègues, les cauchemars, la soumission, l'absence de perspective... Le récit est émaillé de données économiques bienvenues sur l'état du salariat.
Au final, un livre qui donne de furieuses envies de grasses matinées.