Les faux pas européens de Nicolas Sarkozy
les échos[ 24/01/08 ] -
L'évocation, samedi dernier, par Nicolas Sarkozy d'une remise à plat, voire d'une suppression des quotas de pêche, a compromis la fascination et le capital de sympathie que le président de la République a d'abord suscité chez la plupart de ses homologues européens. Cette attaque contre l'un des instruments clefs de la politique commune de la pêche créée en 1983 paraît, en effet, totalement injustifiée à la plupart des capitales européennes. Confrontés, à l'époque, à la nécessité de protéger ensemble leurs ressources halieutiques, les Quinze avaient choisi, il y a quatorze ans, de doter l'Europe d'une zone commune de pêche dans laquelle ils fixeraient ensemble les « totaux admissibles de capture » (TAC) et leur répartition entre les flotilles nationales en fonction de leurs traditions de pêche (les fameux quotas). Et ce système fonctionne plutôt bien. Les ministres européens de la pêche partageant équitablement, chaque année, les stocks de poissons disponibles ainsi que les sacrifices indispensables pour les protéger, en partant de propositions de la Commission inspirées d'avis scientifiques. Cette politique commune a conduit, en 2005, à interdire la pêche aux anchois dans le golfe de Gascogne, les spécialistes estimant que les stocks ne dépassaient pas 15.000 tonnes alors que les captures atteignaient 30.000 tonnes. Très vite, Paris a contesté cette décision alors que l'Espagne, premier pays concerné, ne l'a jamais critiquée. Aussi une large majorité de pays ont-ils soutenu cette politique commune de la pêche contre les attaques françaises, lundi, lors de la réunion de leurs ministres de l'Agriculture. « Notre objectif est d'avoir une activité de pêche durable et les quotas sont indispensables pour y parvenir », a résumé le ministre de l'Agriculture et de la Pêche slovène.
Plus grave : ces attaques de Nicolas Sarkozy ont paru largement démagogiques à la plupart des acteurs européens. Ils déplorent que le président, en rencontrant des pêcheurs mécontents à Boulogne, ait rapidement renoué avec un travers français, largement responsable du « non » au référendum sur la Constitution, une mise en cause systématique de l'Europe lorsqu'un obstacle surgit. Que ce soit lors des derniers élargissements avec la menace du prétendu « plombier polonais », de délocalisations douloureuses, de la perte de revenus de certains agriculteurs pourtant longtemps choyés par la politique agricole commune ou des difficultés occasionnelles de telles catégories sociales, comme celles des restaurateurs auxquels Jacques Chirac avait promis une baisse rapide de la TVA sachant qu'il lui serait très difficile de l'obtenir. Les choses avaient pourtant bien commencé pour le nouvel hôte de l'Elysée. Au lendemain de son élection, il a été le principal artisan d'un recours à un « traité simplifié » destiné à remplacer la défunte Constitution pour permettre à l'Europe élargie de continuer à fonctionner. Très rapidement, il est apparu moins dogmatique que certains le redoutaient sur la poursuite des négociations avec la Turquie en renonçant à exercer son droit de veto sur l'ouverture de plusieurs chapitres. « Sarkozy l'Européen » avait alors le vent en poupe. Et de Bruxelles à Madrid, en passant par Lisbonne et Luxembourg, tous se félicitaient de l'arrivée à l'Elysée d'un Européen « jeune, dynamique, convaincu et convaincant » et attendaient, avec impatience et espoir, la présidence française de l'Union au cours du second semestre 2008.
Las, cet état de grâce n'a guère duré. Et Nicolas Sarkozy apparaît comme le principal responsable de ce retournement de situation. Avant l'été, beaucoup de responsables européens se sont étonnés de l'implication de son épouse dans la libération des infirmières bulgares. Les uns se félicitaient de cet heureux dénouement, les autres déploraient que le rôle joué par l'Union, qui avait quelques années plus tôt renoué le dialogue avec Kadhafi, soit totalement occulté malgré la présence de la commissaire aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner au côté de Cécilia Sarkozy. En septembre, alors que les ministres européens des Finances tenaient leur réunion semestrielle informelle à Porto, le président, de retour d'un voyage en Hongrie, ne trouvait pas de moment plus mal choisi pour se lancer dans une attaque en règle contre la politique du président de la BCE, Jean-Claude Trichet, et contre « l'immobilisme » du président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. Une critique d'autant plus injuste que ce dernier n'avait pas ménagé ses efforts pour l'aider, en juillet, à défendre sa politique budgétaire devant les ministres des Finances des pays ayant adopté l'euro. Sans consulter ni prévenir ses partenaires, Nicolas Sarkozy a proposé, ensuite, de charger un « comité des sages » de fixer les frontières extérieures de l'Union, de convoquer un sommet des dirigeants de la zone euro ou encore d'établir une Union méditerranéenne entre pays du contour de cette mer. Le comité des sages verra finalement le jour, mais son mandat ne parle ni de la place de la Turquie, ni des frontières de l'Union, contrairement aux souhaits de la France. Angela Merkel n'a pas caché son opposition à un sommet de l'eurozone qui ne sera sans doute jamais convoqué. Quant à l'Union de la Méditerranée, elle compte plus de détracteurs parmi les Vingt-Sept que de partisans.
Ces initiatives de Nicolas Sarkozy sont d'autant plus mal reçues que l'heure de la présidence française approche et que le « fonctionnement » du président constitue une énigme pour ses partenaires. Tous se sont félicités qu'il se soit entouré d'Européens ayant fait leurs preuves à Bruxelles, comme Michel Barnier et Jean-Pierre Jouyet. Ces deux hommes ne ménagent pas leurs efforts pour préparer la présidence du second semestre 2008. « La France a sans doute le meilleur ministre des affaires européennes de cette décennie », résume un diplomate étranger. En déplorant immédiatement qu'il ne soit pas davantage entendu par un président qui semble bien seul à décider alors qu'une présidence réussie de l'Union passe par une étroite concertation avec tous ses partenaires.