- Citation :
- Sarkozy confirme la fin du juge d'instruction
Il propose de remplacer cette fonction par un juge «de» l'instruction, qui «contrôlera l'enquête mais ne la dirigera pas».
http://www.liberation.fr/societe/0101310147-sarkozy-veut-supprimer-le-juge-d-instruction
Ce qui revient à donner la direction de l'enquête au seul procureur, directement dépendant du ministère de la justice et donc du pouvoir exécutif.
Pour bien comprendre les conséquences d'une telle réforme, parlons un peu des principes républicains qui fondent à l'origine la justice française.
Si nous n'avions pas jusqu'à peu à rougir de notre justice c'est que celle ci était fondée sur certains principes.
D'abord celui de la séparation des pouvoirs.
Séparation dans les rôles :
- Le pouvoir législatif édicte les lois.
- Le pouvoir exécutif les fait appliquer.
- Le pouvoir judiciaire décide qui a raison ou tord lors d'un conflit et examine le sort des criminels et leur attribue une correction appropriée.
La concentration des pouvoirs a toujours mené à de graves abus durant l'histoire, en témoignent les méfaits des différentes dictatures.
Mais une séparation dans les rôles ne suffit pas. Si on s'y limitait, des abus seraient toujours possibles, le problème resterait inchangé, vu qu'il serait toujours possible d'une manière ou d'une autre aux pouvoirs de se coaliser entre eux.
C'est par exemple le cas des liens entre la justice et le pouvoir exécutif. Le principe républicain des mêmes droits pour tous impliquent la même justice pour tous, et par conséquent personne ne doit être au dessus de la justice.
Ces deux principes républicains, séparations des pouvoirs, et égalité des droits, conduit au principe d'indépendance de la justice en générale, mais surtout face au pouvoir exécutif.
Car le pouvoir exécutif est le plus dangereux de tous les pouvoirs, pour preuve la quasi exclusivité des abus de pouvoir qu'il accumule durant l'histoire de la séparation des pouvoirs. Cela vient principalement du fait qu'on lui a toujours consentit le pouvoir de "diriger" en lui donnant pour une part souvent majoritaire ou même parfois quasi exclusive comme c'est le cas dans l'UE ou en France le pouvoir de proposer des lois.
Car proposer des lois c'est diriger. Si on veut aller dans une direction on propose des lois qui vont nous mener dans cette direction, on ne propose pas des lois qui vont nous mener dans une autre direction.
Et aussi car il peut y avoir un gouffre entre la définition d'une loi et son application, au point même d'en changer le sens. Le pouvoir exécutif, sans contrôle, peut même décider d'appliquer ses propres lois, ou de n'appliquer que les lois qu'il a envie d'appliquer mais pas les autres ...
Placer les juges sous une dépendance vis à vis du gouvernement c'est justement ouvrir la boite de pandore et permettre une justice à deux vitesses, le gouvernement et tous ceux pour qui ils l'auront généreusement décidé pouvant ainsi se placer au dessus de la justice.
Néanmoins il y a besoin d'une justice "administrative" pour représenter l'état quand l'état est en conflit, mais qui ne doit pas avoir le pouvoir d'arbitrer les conflits ou de prendre des décisions judiciaires.
La justice est pour cela divisée en deux parties. Une justice dépendante du pouvoir executif, "le parquet", c'est la partie "administrative" de la justice.
Et une justice indépendante de tout autre pouvoir, "le siège", ( et notamment du pouvoir executif ), qui exerce le pouvoir judiciaire.
On distingue ainsi les magistrats de "siège" et les magistrats du "parquet", ces noms venant du fait que les magistrats de siège sont assis, tandis que les magistrats du "parquet" sont debout, ex: le procureur.
S'il y avait jusqu'alors encore des affaires étouffées, ou des cas de corruption non sanctionnés ou jugés, c'est parce qu'on a laissé aux procureurs le pouvoir de décider de l'opportunité des suites à donner aux plaintes ou aux procès verbaux qu'ils récupèrent via le travail de la police. Possédant un tel pouvoir de décision judiciaire cela va à l'encontre des principes énoncés plus haut.
C'était jusqu'à présent le plus gros point noir "institutionel" de la justice française, c'était sans compter sur Sarkozy, qui dans sa lutte de moins en moins déguisée contre l'idéal républicain, surenchérit, en proposant de placer le rôle du juge d'instruction ( qui est de diriger les enquêtes ) sous la dépendance du pouvoir exécutif. Vu le pouvoir judiciaire du juge d'instruction, ce n'est plus ouvrir la boite de pandore mais c'est carrément jeter le couvercle à la poubelle pour la garder grande ouverte.
J'ai dit plus gros point noir car évidemment il y a d'autres points noirs :
- La justice est débordée et surchargée, la lenteur des procédures qui s'en déduit est effrayante et vu son coût la conjugaison des deux est fortement dissuasive.
- Sa difficulté d'accès et de compréhension au plus grand nombre est néfaste, tout le monde n'a pas connaissance de toutes les possibilités de recours et de leurs droits, ils subissent même parfois des décisions illégitimes en regard de la loi sans savoir qu'elles le sont. On a alors concrètement une justice à deux vitesses, entre ceux qui sont le mieux informés ( ceux qui ont les moyens de se payer des avocats ou des conseillers ) et les autres. Et même informé, se défendre cela a aussi un coût ... Beaucoup choisissent pour cette raison de ne pas se défendre.
Un autre point noir, ce sont les régressions au niveau de la police, devenue elle aussi instrument du pouvoir.
Concernant la police judiciaire je vous conseille un témoignage génial d'un ex-policier :
http://www.regardeavue.com/index.php/2006/05/21/10-sans-casque-ni-bouclier-temoignage-dun-ex-officier-de-police
La police judiciaire par exemple depuis le passage de Sarkozy au ministère de l'intérieur a été transférée peu à peu sous contrôle administratif, en déplaçant l'évaluation de leurs performances et donc l'évolution de leur carrière, à l'origine rôle attribué aux juges d'instructions, indépendants du pouvoir, ensuite déplacé vers les supérieurs hiérarchiques des policiers au niveau administratif qui sont eux dépendants du ministère de l'intérieur ( pouvoir exécutif ), ce qui constitue à un échelon inférieur, en amont du juge d'instruction ( façon de mener et d'orienter les enquêtes, réunion des preuves, procès verbaux ), la quasi réplique de ce qu'il fait au niveau de la justice elle-même aujourd'hui avec les juges d'instructions.
Le gouvernement en contrôlant les procureurs et la police judiciaire, et en supprimant les juges d'instructions, controlera ainsi toute la chaîne qui va du constat des faits, en passant par l'enquête, jusqu'aux poursuites. Bref le gouvernement contrôlera la justice ...
On est bien loin, et on sera encore plus loin si on laisse faire Sarkozy, de l'idéal républicain.
Le but de la justice est de protéger nos libertés, nos droits, et nos intérêts, d'infliger des peines adaptées à leurs crimes aux criminels, et par son efficacité de faire reculer le nombre de délits et de crimes par la dissuasion.
Tout le monde doit être égal devant la justice !
Et la justice doit être accessible à tous, déjà financièrement, mais aussi et surtout simple à comprendre.
La justice doit s'exécuter le plus rapidement possible pour toutes ces raisons.
Cette profonde régression qui ouvre la voie à tous les abus et à toutes les inégalités face à la justice, nous éloigne de plus en plus de l'idéal républicain ...
Elle doit être combattue avec la plus grande force par tous ceux qui tiennent encore à la démocratie, car, je n'ai pas peur de dire le mot aujourd'hui quand il est encore temps, plutôt que demain quand il sera trop tard, cette régression qui met un terme à l'indépendance de la justice porte clairement les signes d'une évolution vers une dictature. Et ce ne sont malheureusement pas les seuls signes que l'on a pu constater jusqu'à présent.